16 Février 2010
Le 14 décembre dernier, à l’Elysée, le chef de l'Etat a remis les insignes de chevalier de la Légion d’honneur à Edouard Leclerc, fondateur de l’enseigne de distribution qui porte son nom. Une décoration qui passe mal auprès des familles de résistants fusillés par la gestapo sous l’Occupation.
Accusé à la Libération d’avoir dénoncé des résistants de Landerneau, emprisonné ensuite quelques mois à Quimper, Edouard Leclerc a pourtant été blanchi de ces accusations de collaboration. De fait, l'instruction ouverte contre lui pour atteinte à la sécurité extérieure de l'Etat a été classée sans suite le 6 février 1945.
Dans son livre "Ma vie pour un combat", paru chez Belfond en 1974, l'intéressé explique que c'est "grâce à un travail d'archives que l'on s'est aperçu [qu'il n'était] pas l'auteur de la dénonciation" qui lui était reprochée. Des propos en ligne avec le classement sans suite de l'instruction mais qui, en revanche, sont aujourd'hui remis en question par la mise au jour de nouveaux éléments du dossier.
Contrairement à la version présentée par Edouard Leclerc, c'est en fait suite à un examen médical, que la Cour de Justice de Quimper l'a reconnu "irresponsable de ses actes". Pour preuve, le courrier (ci-contre) adressé le 19 février 1945 par le commissaire du gouvernement au procureur de la République et dans lequel on peut lire : "Il [Edouard Leclerc ] a bénéficié d'un non-lieu ; examiné, en effet, au point de vue mental, il a été reconnu irresponsable de ses actes." Cette lettre faisait suite à une demande du père de François Pengam, jeune Landernéen de 19 ans fusillé par les nazis suite à une dénonciation, qui cherchait à savoir si une instruction avait été ouverte concernant la mort de son fils.
Que s'est-il donc passé entre le 6 février, jour du classement sans suite, et le 19 février 1945, date à laquelle le commissaire du gouvernement, qui était pourtant le signataire du premier document, envoie ce courrier au procureur de la République ? De quels éléments nouveaux a-t-il eu connaissance dans l'intervalle ? Le dossier a-t-il été rouvert ? Des contestations ont-elles débouché sur une nouvelle ordonnance de non-lieu, fondée cette fois sur l'irresponsabilité mentale ?
Edouard Leclerc n'aurait-il donc pas été blanchi sur le fond ? Je l'ai interrogé sur la nature médicale du non-lieu dont il a bénéficié et sur son irresponsabilité. Il m'a donné une version bien différente de celle présentée jusque-là : "Cette période est pour moi une période très floue. Je ne cherche pas à savoir exactement les tenants et les aboutissements de l'affaire". Une déclaration qui contraste avec les affirmations présentes dans son autobiographie. A l'évidence, la lumière n'a pas été totalement faite sur son comportement pendant l’Occupation. Dans ces conditions, d'aucuns estiment qu'il eût sans doute été préférable de ne pas lui remettre la Légion d'honneur. Une Légion dont la devise est Honneur et Patrie.
Alors que Michel-Edouard Leclerc a, lui, été décoré en 2002, on peut s'interroger sur les circonstances de cette distinction si tardivement attribuée à son père, en même temps qu'à sa mère d'ailleurs. Le fait que la cérémonie se soit déroulée en marge de l'agenda officiel du chef de l'Etat ajoute au flou entourant cette décoration.
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